Le rôle de pilote, dans une équipe ou un projet, est décisif. Sans lui, un groupe de personnes, quel qu’il soit, a bien du mal à s’organiser pour construire et produire quelque chose. Pour le jouer pleinement, au delà de son statut, la stature de la personne qui le joue est déterminante.

Chef, dirigeant, manager, leader, patron, cadre, supérieur hiérarchique… il existe toutes sortes de termes pour désigner ce rôle tout à fait spécifique. Nous vous proposons le terme « pilote » afin d’éclairer notre approche du management.

En vertu de nos relations ambivalentes avec le pouvoir, nombre d’entre nous cherchent longtemps – sinon toute leur vie – comment se passer d’un « chef », comment le contourner, voire comment faire les choses (mieux évidemment) à sa place. La relation avec lui – ou elle – est empreinte de fortes attentes, souvent inconscientes, qui, si elles ont été par trop déçues, finissent par se transformer en exigences de perfection, voire en phobie. Pour autant, malgré de nombreuses expérimentations et une abondante littérature sur le sujet, bien rares sont les collectifs qui parviennent à se passer d’un pilote, et pour cause : certaines fonctions n’appartiennent qu’à lui. Elles sont déterminantes pour que le groupe puisse devenir autre chose qu’une addition d’individualités : une véritable équipe, une troupe plutôt qu’un troupeau, pour reprendre les termes de l’un de nos précédents articles.

Parmi ces fonctions déterminantes du pilote, on peut citer :

  • la coordination, qui implique une vision d’ensemble et un pouvoir de contrôle afin de vérifier que chacun joue bien son rôle et seulement son rôle (au sens de sa « partition »),
  • la circulation d’une information de qualité entre les membres, qui ne va pas de soi et nécessite une régulation pour que les voix les plus fortes ne couvrent pas les plus ténues,
  • le gyroscope ou point de repère vis-à-vis de l’extérieur pour que l’ensemble continue d’avancer dans le bon sens,
  • le thermostat ou régulateur qui intervient lorsque l’énergie interne de l’équipe s’emballe ou s’étiole,
  • l’équilibrage, afin de veiller au respect de l’égalité des personnes (qui sont à ne pas confondre avec leurs rôles, comme nous l’avons vu également dans un précédent article sur le rôle et la personne) en contrant les phénomènes de rivalité et de jalousie…
  • le pouvoir de trancher, dans les cas où les membres de l’équipe ne parviennent pas à se mettre d’accord – ce qui peut toujours arriver, même dans une équipe très soudée.

Autant de fonctions qui, si elles sont manquantes ou mal remplies, vont consommer beaucoup d’énergie et conduire le groupe vers le désordre, voire le chaos et la dissolution.

Un rôle qui cristallise des sentiments ambivalents

Pour autant, c’est un rôle bien difficile à exercer, car il cristallise, immanquablement, des sentiments ambivalents de la part des membres de l’équipe (voir à ce sujet notre article sur l’Ombre). Le pilote est plus faible – énergétiquement parlant – que le groupe qu’il dirige. Il est aussi plus fort, du fait de son statut, qui lui donne des pouvoirs que les autres n’ont pas : c’est bien à cela que sert le statut. Représentant de l’autorité (et donc symboliquement du Père, au sens archétypal), le pilote est régulièrement mis à l’épreuve par le groupe, qui a besoin de tester, vérifier, ressentir sa résistance et sa solidité. C’est – paradoxalement – la condition sine qua non pour que le groupe puisse lui faire confiance. Autrement dit, le pilote a besoin non seulement d’un statut pour jouer pleinement son rôle, mais aussi d’une stature : une capacité à accueillir et à résister aux aléas de la fonction, à rester stable, même – et surtout – dans les moments où il est « chahuté » par son équipe et/ou par les évènements extérieurs. Nous sommes ici dans le registre affectif, émotionnel, du bas de l’iceberg (pour reprendre les termes de notre article sur les ressources personnelles). C’est cette stabilité émotionnelle, cette stature, qui va lui permettre, par une écoute fine des membres de son équipe et par une appréhension juste des situations, de se situer correctement, donc d’agir au service de l’ensemble, et non en fonction de ses propres peurs, ambitions ou désirs inconscients.

« L’exercice du pouvoir nous donne à la fois l’espace d’expérimentation de nos possibilités et le terrain pour rencontrer les obstacles nécessaires à notre évolution vers la maturité » – Lily JATTIOT, « Vie quotidienne du Pouvoir »

Une voie d’épanouissement personnel

C’est là l’un des secrets les moins évoqués par la littérature managériale, soigneusement évité par ceux qui recherchent ou vendent des recettes simplistes, toutes faites : le rôle de pilote est une gageure, une mise à l’épreuve régulière et renouvelée, qui, comme le rôle de parent, ne nous laissera que de rares moments de répit. C’est donc aussi une formidable voie d’épanouissement personnel pour celui qui a le courage de l’endosser, de le tenir dans la durée et de s’efforcer de le jouer le plus honnêtement possible – à condition d’être bien accompagné. Celui qui s’y engage ignore, bien souvent, ce qui l’attend, mais trouve en chemin bien plus qu’il n’était venu chercher.

Pour 2024, nous souhaitons à toute celles et à tous ceux qui aspirent à se déployer dans un rôle de pilote de trouver de bons guides !