« L’actuel malaise du management est l’envers d’une pièce dont de puissantes attentes positives sont l’endroit », nous indiquait déjà Pierre-Olivier MONTEIL dans son livre, Ethique et philosophie du management. A la sortie de cet ouvrage, en 2016, il nous avait accordé une interview.

Nous la republions ici, en préambule à une fiche de lecture, le mois prochain, de son tout dernier livre, La Fabrique des mondes communs. Ces deux ouvrages, dans la lignée l’un de l’autre, sont d’une brûlante actualité.

Le besoin d’engagement, le désir et la possibilité d’épanouissement au travail des collaborateurs, sont autant de points d’appui dont le manager, en modifiant sa posture et ses manières d’agir, peut bénéficier – et donc faire bénéficier son organisation. A l’heure où dirigeants, managers, formateurs et coaches s’interrogent sur la manière de refonder nos collectifs inadaptés au monde changeant et incertain d’aujourd’hui, le livre de Pierre Olivier Monteil est à la fois une mine d’or et une bouffée d’air frais pour qui souhaite sortir du prêt-à-penser simpliste et réducteur qu’on nous sert trop souvent en littérature managériale.

Ecole Chamming’s : Pierre-Olivier, pouvez-vous nous parler de l’intention qui a présidé à l’écriture de ce livre ?

P-O. M. : Elle est liée à ma trajectoire personnelle. Je suis aujourd’hui philosophe, mais j’ai exercé des responsabilités managériales pendant plus de 20 ans, au sein d’organisations complexes (dans le secteur banque-assurance, au sein du Groupe Caisse d’Epargne notamment – voir ci-contre – NDLR). La philosophie et le management sont deux domaines qui s’ignorent mutuellement. En management, la philosophie n’est utilisée, la plupart du temps, que comme un artifice : on cite une petite phrase par ci-par là, dans une quête d’honorabilité à moindre frais. Elle ne fait pas partie des possibilités, des données à prendre en compte pour engager une vraie réflexion. Du côté des philosophes, la plupart d’entre eux n’ont jamais mis les pieds en entreprise. Le management est souvent considéré comme un sujet qui manque de noblesse. Il existe ainsi une ignorance symétrique entre ces deux mondes.

Or, l’actuel malaise dans les entreprises, et plus généralement la défiance généralisée à l’égard de ceux qui sont sensés incarner l’autorité, appellent à identifier de nouveaux points d’appui.

Ecole Chamming’s : En quoi la philosophie peut-elle apporter des réponses aux managers ?

P-O. M. : Contrairement à un sentiment largement répandu, et qui conduit au découragement, au fatalisme, voire à une certaine forme de dépression, je pense que les managers ont des marges de liberté dans leur action au quotidien, en particulier dans leur manière d’agir.

Mon livre procède de l’idée que l’attention portée aux personnes, dans leur singularité, est la réponse principale au problème croissant du sens de l’engagement au travail aujourd’hui. Il a pour préoccupation première de faire droit aux aspirations qui portent chacun à considérer la sphère professionnelle comme un lieu d’épanouissement possible.

Loin de concerner les seuls philosophes, le propos s’adresse aussi aux théoriciens et aux praticiens du management, comme à tous ceux qui les accompagnent : formateurs, recruteurs, coaches et autres consultants.

Ecole Chamming’s : Diriez-vous que ce livre est une boîte à outil ?

P-O. M. : Mon livre est une invitation à penser autrement : une proposition de désorientation de la pensée habituelle, pour une réorientation, au croisement de logiques différentes et complémentaires. Par exemple, le croisement de la logique du mérite en management (le donnant-donnant), avec une logique de la gratitude et de la reconnaissance. Penser les choses différemment, c’est déjà changer sa posture.

Je plaide pour un management par le consentement, en mettant en évidence les ressources d’efficience d’un engagement au travail plus libre – ressources dont les pratiques actuelles se privent trop souvent. Le management par le consentement privilégie une posture désireuse de faire avec ses interlocuteurs, au lieu d’agir contre eux. Il s’accompagne d’une humeur moins prédatrice, attentive aux effets de ses actes, qui peut se communiquer au-delà. Elle rejoindrait alors les préoccupations en faveur d’un développement durable et d’une responsabilité sociale de l’entreprise authentiquement soucieux du bien commun dans la Cité.

Ecole Chamming’s : L’éthique n’est-elle pas uniquement une affaire de conscience personnelle ? En quoi l’entreprise est-elle concernée par l’éthique ?

PO-M : Evidemment, me suivre suppose un a priori de départ : celui que l’éthique est l’affaire de chacun d’entre nous. Or, il n’y a pas d’éthique en dehors d’un contexte de liberté. Il existe plusieurs façons de diriger, plus ou moins contraignantes pour autrui selon qu’elles préservent une marge plus ou moins grande pour l’initiative. Le choix de la posture managériale appropriée, à cet égard, exige une attention particulière à la situation dans ce qu’elle a de singulier. Plus relative sans être relativiste, cette posture est aussi plus relationnelle. Prête à la discussion, elle est déjà en quête du consentement. Le sentiment d’agir sous la nécessité perd alors de son évidence. Pour le manager comme pour ses collaborateurs, elle ouvre la possibilité d’une liberté nouvelle. En réhabilitant les valeurs de coopération et de reconnaissance mutuelle, ce mode de management réduit aussi les contradictions qui tendent aujourd’hui à opposer le monde du travail, tant à la vie privée qu’au vivre-ensemble. Rétablir la confiance au sein de l’entreprise peut ainsi contribuer au renforcement de la confiance en politique.

Propos recueillis par Marie KERROUCHE – Directrice pédagogique de l’Ecole Willy Chamming’s

Qui est Pierre-Olivier MONTEIL ?

Spécialiste de l’éthique de l’action en organisation, Pierre-Olivier MONTEIL a exercé plus de 20 ans en entreprise, principalement au sein de directions de la communication interne, puis s’est consacré à la philosophie à partir de 2009. Il a été notamment rédacteur en chef de la revue Autres Temps – Cahiers d’éthique sociale et politique de 1991 à 2003.

Aujourd’hui titulaire d’un doctorat en philosophie politique de l’EHESS, chercheur associé au Fonds Ricœur, il enseigne l’éthique appliquée à l’Université Paris-DauphinePSL et à l’Ecole supérieure de commerce de Paris (ESCP Europe). Il accompagne dirigeants, managers et organisations dans leur recherche d’éthique, notamment dans le secteur médico-social et fait partie de l’équipe de formateurs de formateurs de l’Ecole Willy Chamming’s.

Il est l’auteur d’une douzaine d’ouvrages, parmi lesquels un Abécédaire du bien commun aux Editions des îlots de résistance, Reprendre confiance aux Editions François Bourin, Ethique de la pratique ordinaire, chez Pocket, Ethique et philosophie du management, dont il est question ici, et La fabrique des mondes communs, tous deux dans la collection « L’espace éthique » des Editions Erès.