Ces deux termes sonnent d’abord comme un contraste, un paradoxe : comme s’ils étaient opposés. Et pourtant… Nous poursuivons ici notre réflexion, amorcée en 2022 lors d’un précédent article et alimentée par deux webinaires.

D’abord le management : il s’agit de conduire, de guider, d’être à même de décider, de donner et porter des directions pour le groupe, pour l’équipe. Se dégage immédiatement l’idée d’une force nécessaire, appelé parfois leadership. Le manager, ou leader, peut être perçu comme un « chef de guerre », c’est-à-dire qu’il mène ses troupes, dans un contexte professionnel vécu comme guerrier : face à la pression de la concurrence, la rudesse d’un milieu, il faut défendre son activité, ses intérêts, ceux de son entreprise. En cela, on attend du manager qu’il soit fort, droit, clair, et y voir l’image de l’armure : comme une solide protection qui rendrait, presque, invulnérable, c’est-à-dire qui ne peut être touché, ou blessé.

La vulnérabilité est souvent associée à la sensibilité, à la fragilité, à la délicatesse, voire à la faiblesse, dans un versant plus négatif, soit des valeurs peu associées spontanément au management.

Alors, pourquoi associer ces deux termes ? En quoi la vulnérabilité pourrait-elle être un atout pour la personne du manager, dans l’exercice de sa fonction ?

Vulnérabilité, c’est-à-dire ?

D’abord nous pouvons nommer ce que la vulnérabilité n’est pas.

Nous distinguons vulnérabilité et fragilité : reprenant les termes transmis par Pierre-Olivier Monteil, philosophe, en lien avec les travaux de Paul Ricoeur, nous pouvons utiliser la métaphore de la porcelaine. Une fragilité serait une faille, une fêlure, dans la porcelaine, c’est-à-dire un lieu particulier de risque de fracture, de rupture. La vulnérabilité serait davantage à comprendre comme la matière porcelaine : l’humain, par nature, est vulnérable. C’est dans sa nature. Cela ne signifie pas qu’il n’ait pas, dans cette matière même, sa force, sa direction, son axe.

La vulnérabilité renvoie ainsi à la notion de personne dans son entièreté, dans sa matière première, et dans son authenticité. Dans cette perception, être au contact et conscient de sa propre vulnérabilité, c’est être davantage conscient et au contact de celle des autres, notamment, de ses co-équipiers, et ainsi de pouvoir intégrer cette dimension de la personne dans les possibilités d’échanges. C’est comme ouvrir un pan plus vaste de possibilités.

L’ouverture à sa propre vulnérabilité, et ainsi à celle des autres, nous ouvrent la réelle possibilité de rencontre, et donc d’invention, de possibles, d’inédits.

La vulnérabilité comme ouverture

Un manager dans son action professionnelle s’appuie d’abord sur la richesse et les possibilité de son équipe, une équipe vivante et ainsi créative, en possibilité d’inventer, d’ajuster, d’amener des solutions innovantes, autres et plus riches encore que ce qu’aurait pu penser ou inventer seule la personne du manager. L’équipe est bien plus qu’un ensemble d’exécutants, comme des pions sur un échiquiers, et chaque collaborateur peut d’autant donner le meilleur de lui-même qu’il a la possibilité d’être en contact, lui-même, avec sa propre vulnérabilité.

En ce sens, la vulnérabilité apparaît comme une ouverture à la richesse, et aux potentialités de la personne, et des personnes.

Le manager, vulnérable ?

Le manager pourrait être attentif aux potentialités de ses collaborateurs tout en étant fort, en montrant sa détermination, en donnant des directions ? Oui, théoriquement, cependant, pour que l’autre exprime et ose faire exister sa propre vulnérabilité, il a besoin de se sentir, d’une part, en sécurité dans la relation, d’autre part, en communication avec une personne ouverte. C’est là que le contact du manager avec sa propre vulnérabilité, et un contact assumé, possible, ouvre en réalité les potentialités de ses liens avec ses collaborateurs.

La vulnérabilité n’est pas une faiblesse

Être en contact avec sa propre vulnérabilité, c’est être plus entier, plus authentique, c’est aussi cultiver une forme d’accord intérieur, un axe intérieur. Cela nous renforce, ce n’est plus une faiblesse.

Si l’on reprend la métaphore de la porcelaine, la faiblesse serait une faille présente, à la suite d’un choc reçu. Cette zone de fragilité nécessite alors un travail de soin, pour potentiellement devenir, comme dans une fracture, une zone au contraire de plus grande solidité, potentiellement. Mais dans un premier temps, cette zone va nécessiter des aménagements, car elle est plus fragile.

La vulnérabilité est proche de la sensibilité, si l’on considère la sensibilité comme une forme de système perceptif fin, délicat, particulièrement efficient. Comme dans la photographie, la zone de sensibilité prend l’ombre et la lumière.

La culture de l’armure

Dans ce rapport à notre vulnérabilité, nous avons souvent été mal éduqué, ou éduqué à l’envers. C’est-à-dire que dès l’école, le système de connaissance et de savoir est transmis en s’appuyant sur la recherche d’une image extérieur : il faut être comme… il faut faire comme…. C’est-à-dire qu’il est indiqué vers quoi il faut tendre, qui prend souvent la forme de : ce que je devrais être… qui vient se confronter à « ce que je suis », avec un vécu de faiblesse, de vulnérabilité mais dans un sens négatif, c’est-à-dire une forme de douleur de n’être pas « à la hauteur » de cet idéal dont on nous tend le miroir de façon habituelle et répétée, tant et si bien qu’ensuite nous nous le tendons à nous même, cela est devenu un mouvement intérieur intégré. Nous partons d’une image extérieure, un modèle vers lequel il faut s’acheminer chaque jour, par la discipline, la volonté, le travail…

Nous pouvons alors à notre insu cultiver un sentiment d’échec, de perte de dignité de soi, d’estime de soi souvent aussi. Dans cette perspective, bien qu’elle porte un moteur certain qui amène d’une certaine façon de nombreux développements, il y a une perte d’énergie et de possibilité énorme.

Changer de perspective

Nous pouvons peu à peu apprendre à partir de nous-même, tels que nous sommes, et de nos équipiers, tels qu’ils sont, pour s’appuyer sur un autre moteur : celui de la curiosité, de la motivation, voire de ce que nous aimons, ce qui nous passionne… Partir de soi, de son désir, de « ce qui nous pousse », c’est aussi cela, être en contact avec soi, avec sa propre sensibilité, son terreau intérieur. C’est là aussi que nous trouvons le moteur essentiel : le désir.

Pourquoi est-ce intéressant que le manager expérimente cette posture ?

Parce que s’il le fait pour lui-même, il ouvre la possibilité pour ses collaborateurs de s’ouvrir également de cette manière, il ouvre une rencontre plus authentique et vivante, et il soutient toute la créativité de son équipe.

Le costume du bon professionnel est par nécessité porté par tous, et il nous semble nécessiter, parfois, de se couper de son vécu véritable, et ainsi d’une part de ses possibilités.

Nous avons tous un rôle professionnel à jouer, mais nous pouvons aussi le jouer à notre façon, en habitant le costume.

Un cadre pour expérimenter et repérer

Dans les stages de l’École Chamming’s, la pédagogie s’appuie sur deux fondamentaux : chacun part de lui-même, et s’expérimente dans les situations proposées dans un cadre sécurisé et soutenant. Il s’agit bien de partir de son propre point de départ, soi-même, et de travailler l’outil que nous sommes.

Le stage lui-même est un lieu d’expérimentation, au sens d’une pratique qui permet de développer un savoir-faire, des compétences, à partir d’un savoir être dans lequel des repères, des jalons se posent. Et de plus, les participants, en expérimentant, apprennent eux aussi à poser et garantir un cadre sécurisé pouvant permettre à leurs équipes, ensuite, d’exprimer plus pleinement leurs potentialités.