Me rendre disponible à l’autre, c’est cultiver l’art du vide. Une compétence rare, et pourtant primordiale dès lors que nous voulons faire appel à la coopération, donc à l’intelligence collective.
La véritable écoute, est celle qui permet à celui qui s’exprime de se sentir en sécurité, libre de sa parole, reconnu, accepté et compris dans sa singularité. C’est une compétence rare, pour différentes raisons. La plus évidente est qu’elle est fort peu cultivée dans notre société qui valorise encore largement les capacités d’expression au détriment de celle-ci : on admire davantage celui qui parle bien que celui qui, discret, écoute intensément. Mais, plus profondément, l’écoute a à voir avec une dimension qui suscite crainte et défiance : celle du vide.
Pour pouvoir écouter vraiment autrui, il va me falloir cultiver une disposition particulière : celle de la disponibilité, qui pourrait être définie comme l’art de donner du vide. Une disposition, une capacité à ouvrir en moi un espace dans lequel je vais pouvoir accueillir la parole de l’autre, quelle qu’elle soit.
Pas la réponse aux questions que je me pose, pas les éléments dont j’ai besoin pour construire mon projet, mais sa parole à lui (ou elle), son point de vue unique et singulier, sa vision qui n’est semblable à aucune autre. Il va s’agir pour moi d’être capable de suspendre, au moins momentanément, ne serait-ce que le temps de l’entretien, mes représentations, mes projets, mes préoccupations, mes jugements de valeur, pour m’ouvrir à ceux de l’autre. Il va m’être nécessaire de reconnaître et supporter que je ne maîtrise pas tout, que je n’ai pas forcément ni entièrement raison, qu’il existe une (grande) part de la réalité qui m’échappe… Il va tout simplement être nécessaire de me taire, de faire silence et de laisser l’espace et le temps à l’autre pour qu’il puisse – s’il le souhaite et comme il le souhaite – s’exprimer.
Au bord de l’abîme
Evident me direz-vous ? Pas du tout. Il s’agit en fait de se tenir au bord de cet abîme qu’est le vide. Le vide, dont la fréquentation nous est si difficile en réalité : il est le plus souvent, et pendant longtemps, vécu comme inconfortable, voire triste, effrayant, dangereux. On parle de « vide intérieur » pour désigner la dépression ou la stupidité, et l’expression « la nature a horreur du vide » est bien souvent invoquée pour justifier nos stratégies d’évitement de cette sensation vertigineuse… Il suffit pour s’en convaincre d’observer la manière dont nous remplissons nos têtes, nos agendas, nos armoires, nos vies. L’hyper connexion est l’un des symptômes de cette maladie ont souffrent nos sociétés occidentales : dès que nous avons un moment, nous nous jetons sur nos téléphones. Le temps vide, perçu comme du temps « mort », est à éviter à tout prix. Vite, remplissons, remplissons ! Ne perdons pas de temps ! Supporter le vide, et même le choisir, le préserver, est un geste intérieur que nous avons bien du mal à accomplir.
Pourtant, c’est bien dans la relation sereine avec le vide que réside le secret de la disponibilité. C’est dans cet accueil paisible, cette disposition particulière, cette qualité de présence tranquille de celui qui ne craint pas le vide que va pouvoir s’établir avec autrui une relation fructueuse, qui ouvre le champ des possibles au lieu de les fermer. C’est sous ce climat que s’épanouissent des jeux de partenaires, en lieu et place des habituels et mécaniques des jeux d’adversaires. La disponibilité suppose, de la part de celui qui écoute, une suffisante sécurité affective, l’acceptation par avance du flou, du droit à l’erreur, de l’incertitude.
Cultiver la fréquentation du vide, c’est permettre aux choses d’advenir.
Au vu des défis que nous avons à relever ensemble, de tout ce que nous avons à inventer ou réinventer pour permettre l’avenir, il est grand temps pour chacun d’entre nous d’apprendre – ou réapprendre – à fréquenter le vide et le silence. Dans cet espace fertile qu’est le vide ouvert, accepté, peut se manifester entre les protagonistes quelque chose de nouveau, d’inédit, de créatif, que l’on appelle l’intelligence collective. Elle commence dans la relation à deux.